Ben avait refermé la vieille porte de bois dans un claquement sourd et puissant. Sa colère lui voilait les yeux. Son visage était défait. Il savait qu’il ne l’ouvrirait plus jamais. Partir. Ne plus jamais revenir. Oublier les démons du passé. Un dernier rapide coup d’œil à cette demeure sinistre, comme un ultime adieu à une vie de doutes et d’incompréhensions. Courir. Plus loin encore. Au-delà du passé. Mais peut-on se reconstruire sans le connaître vraiment ?
Quelques minutes auparavant, il avait fait ses adieux à son père, de drôles d’adieux, inattendus et mystérieux, tout aussi inachevés qu’inaccomplis. Ben avait enfin trouvé une astuce pour le faire revenir dans la demeure familiale où ils avaient connu le bonheur, des petits moments magiques qui ne se comptaient plus que désormais en quelques images floues écorchées par les non-dits.
- J’ai quelque chose d’important à te dire, lui avait-il dit au téléphone.
- On n’a plus rien à se dire, avait répliqué son père furieusement.
- Papa, laisse-moi une chance de te revoir, je vais mourir...
- Ta mère aussi est morte...
- Justement, j’ai besoin de savoir. Il ne te reste plus que moi, il faut que je te voie une dernière fois.
- Pourquoi, à quoi bon, nous n’avons jamais su nous parler. C’est trop tard.
- Tu trouveras les mots cette fois-ci ! Tu le dois ! Tu me le dois...
Le ton autoritaire de Ben l’avait fait flancher :
- Ou ?
- Au Grand Sourcier.
Le Grand Sourcier. Ce nom résonnait dans sa tête comme le tic-tac d’une horloge. Ben avait passé les premières années de son enfance là-bas, loin du regard des autres. Mais trop près du passé. Trop près de la Mort. Très près de nulle part.
- Jamais ! C’est le dernier endroit où je retournerais !
- Je te le demande comme un service, papa, fais cette dernière chose pour moi.
C’est comme cela que Ben réussit à attirer son père dans la demeure familiale abandonnée, après presque quinze ans de silence d’un côté comme de l’autre. Les retrouvailles avaient été froides, presque glaciales même. Ben ne fut pas surpris que son père n’esquissa ni un sourire ni ne fit paraître la moindre émotion en le revoyant.
- Je vais mourir, papa. C’est pour cela que j’ai désiré te contacter. La maladie me ronge si vite, c’est inévitable... les médecins ne me donnent plus que quelques semaines.
- Je...
- Pas de pitié, je ne suis pas venu pour ça. Laisse-moi parler. Il reprit son souffle : Avant de partir, j’ai besoin de savoir ce que tu me reproches depuis la mort de maman. Je n’avais que 5 ans. A l’époque j’ai cru ce que tu as bien voulu me faire entendre. Mais tu n’étais plus le même. Maman partie, je n’étais plus un fils pour son père. Tu crois que je n’ai pas vu que tu me regardais différemment. Comme un traitre. Un lâche ou bien même un assassin. Que s’est-il donc passé ? Comment est-elle morte ? Ai-je quelque chose à voir avec sa mort ? Je ne me souviens de rien, papa, et j’ai besoin de ça pour avancer...
Ben regarda intensément son père en attendant une réponse. Mais elle ne vint pas. Il n’eut pas le temps de prononcer d’autres mots. Le seul écho qu’il eut, fut le sifflement d’une balle sortant de l’arme qu’avait dissimulé son père dans son veston et qu’il retourna froidement contre lui.
- Papa, non ! Ne me fais pas ça, j’attends depuis si longtemps ce moment ! Tu n’as pas le droit ! Non...
Dans un dernier souffle, il entendit son père bredouiller quelques mots : oublie ...le passé .... mon fils, c’est .... tout ce que je peux te .... conseiller. Puis, il essaya une dernière fois de prendre de l’air là où il pouvait encore en trouver. En vain.
Nanou, Septembre 2007